Art et Histoire 藝術與歷史

Texte : Frank Vigneron

 
  Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence :
Histoire d'un siècle de peinture et de sa pensée (13)

十七、十八世紀之間的中國︰興盛不衰 : 一個繪畫及其思想的百年史(十三)
 
 

• Wang Zhirui 王之瑞 (actif 17e siècle), Pin et rocher 《松石圖》, rouleau à suspendre, encre sur papier, 179.5 x 78.2 cm. Musée Provincial du Zhejiang

Shen Hao va donc jusqu’à emprunter des passages du traité de Guo Xi, mais c’est surtout la mention de la peinture de Mi Fei 米芾 (1052-1107), peintre des Song représentant déjà l’idéal lettré mais n’ayant probablement jamais utilisé la façon précise et détaillée de Guo Xi, qui rend ce passage intéressant (on remarquera que le peintre des Song, célèbre pour son caractère difficile et ses frasques, n’avait pas d’admiration pour Wang Wei qui, à l’époque Qing avait été transformé en une figure intouchable de la tradition lettrée, d’où la réaction hésitante de Shen Hao). En effet, Shen Hao n’a aucun problème à utiliser deux peintres si différents dans un passage destiné à justifier le bien-fondé d’une peinture monochrome simplifiée à l’extrême. Et c’est l’ambiguïté qui existe dans la presque totalité de cette théorie de la peinture du début des Qing, les théoriciens justifient leurs idées picturales en utilisant la théorie des peintres du passé sans vraiment se soucier de ce que leurs peintures montraient en réalité. Il est vrai qu’un peintre peu connu comme Shen Hao n’a certainement jamais eu l’occasion de voir les peintures du passé puisqu’il ne connaissait probablement pas de collectionneurs importants. Cette tendance va aller en s’amenuisant et, dans l’atmosphère du 18e siècle et du mouvement des « recherches textuelles », la majorité des peintres ne vont plus oser se référer à des peintures qu’ils n’ont pas vues.

Les chapitres sept à dix comportent des remarques sur l’importance de l’encre et de la couleur, rappelant que le travail de l’encre est plus important et que toute couleur doit venir après et en petite quantité, mais aussi sur l’ajout des points représentant la mousse et sur l’importance des titres et des inscriptions. A ce propos, Shen Hao perpétue les thèmes traditionnels de la peinture lettrée, c’est-à-dire les pêcheurs et les bûcherons, ces hommes de la nature illustrant des idées profondément taoïstes, mais aussi des fermiers labourant ou s’occupant de leur bétail :

« Quand les grands hommes du passé ne pouvaient pas exprimer leurs vœux, ils s’occupaient à la pêche et au bûcheronnage, ils se retiraient du monde et s’épanchaient souvent avec leur pinceau. Leurs travaux exprimaient l’harmonie de leurs paroles dans des poèmes sans son. Passant ainsi leur temps à jouer avec leur pinceau, ils composaient des paysages en utilisant ce qui leur passait par l’esprit et devant les yeux. Quand les peintres modernes représentent la pêche et le bûcheronnage, le labour et l’élevage, ils le font sans saisir le sens de ces occupations, et leurs travaux sont sans valeur. Leurs pêcheurs à la ligne et leurs bûcherons sont bossus et tordus, ils travaillent avec douleur et sans aucun plaisir. Et pourtant, ces peintres sont satisfaits d’eux-mêmes, mais les spectateurs intelligents ne pourront s’empêcher de se détourner. »

Shen Hao, qui décidément insiste sur sa non appartenance au groupe des lettrés-officiels qui, souvent citadins, n’avaient pas toujours vu de telles scènes, exige que seuls ceux qui ont vécu dans ces situations peuvent se permettre de les représenter. Ce faisant, il nous rappelle aussi une ancienne tradition de la peinture et de la poésie chinoise qui devait être de plus en plus difficile à respecter dans la Chine très urbanisée des 17e et 18e siècles. Savoir si Shen Hao lui-même a vécu ces expériences relève bien sûr de la plus pure conjecture, mais on peut deviner que d’autres artistes complètement dépendants de leur environnement urbain n’ont eu aucun mal à exiger la même chose. Quant aux inscriptions, elles doivent bien sûr être disposées sur la peinture mais à des endroits qui ne la gâcheront pas, on verra plus tard à quel point la possibilité même d’inscriptions sur la surface de la peinture est un signe indiquant une différence profonde entre la peinture chinoise et la peinture européenne.


• Sun Yi 孫逸 (actif 17e siècle), Une étendue du collines ininterrompue 《岡蛉圖》, détail, rouleau horizontal, encre sur papier, 29.2 x 385.5 cm. Musée de Shanghai

Le chapitre onze, sur le thème de la copie, aborde donc un problème essentiel de la peinture car on considère qu’elle fut abordée assez différemment par les clans « orthodoxes » et « individualistes ». On se souvient que Dong Qichang, sans rejeter la copie exacte qui permettait aux jeunes peintres d’appendre les techniques de base, avait conçu la « copie interprétative » (fang 仿) comme un instrument destiné à connaître le caractère des anciens peintres : plus la copie était faite dans le style personnel de l’artiste « copieur » et plus elle était fidèle à l’esprit de la peinture originale. Les Orthodoxes sont donc bien proches des Individualistes sur ce plan car Shen Hao est plus intéressé par l’esprit que par la lettre :
« La copie des anciens maîtres ne doit pas être faite en gardant un original devant les yeux, la copie doit être accomplie dans l’esprit. Il faut se concentrer sur l’idée [d’une peinture] sans même une poussière de déviation. Si cela finit par ressembler ou non à l’original est quelque chose qui ne doit dépendre d’aucune délibération. Sun Guoting 孫過庭 (c. 625-c. 695) et Yu Shinan 虞世南 (558-638) ont tous deux hérité leur style de calligraphie de Wang Xizhi 王羲之 (309-c. 365), et pourtant ils étaient très différents. Li Mengyang 李夢陽 (1473-1529) et He Jingming 何景明 (1483-1521) ont tous deux imité la poésie de Du Fu 杜甫 (712-770), et pourtant ils étaient tous différents les uns des autres. D’autres hommes ont eu leurs yeux ouverts en regardant la danse du sabre (Pei jiangjun zhi wujian 裴將軍之舞劍) : l’auteur fait ici allusion à une anecdote célèbre sur le peintre Wu Daozi 吳道子 (début du 8e siècle). Celui-ci, attaché au service de l’empereur Xuanzong 玄宗 (713-756), rencontra dans la capitale de l’Est le général Pei Min 裴旻 et le calligraphe Zhang Xu 張旭 (actif 713-756). Le général Pei savait exécuter avec un talent consommé la danse du sabre, aussi Wu Daozi le connaissait-il de réputation. Pei, qui considérait Wu Daozi comme un peintre de génie, lui fit don d’un envoi d’or et de soie en l’invitant à se rendre au Temple du Palais céleste pour y travailler. Wu renvoya le précieux colis sans l’avoir ouvert, et déclara qu’il s’estimerait comblé si le général consentait à danser devant lui. Après avoir vu danser la pantomime de l’épée, Wu Daozi peignit une fresque et le grand calligraphe Zhang Xu, à la même occasion, fit une calligraphie. N.D.T.) où des acrobates marchent sur des jarres de terre. Ils ont pris de tels spectacles comme guide mais n’auraient pas été capables de le faire s’ils n’avaient pas eu une intelligence supérieure. »

Même sur le thème de l’observation de la nature, les « Orthodoxes » et les « Individualistes » avaient des positions qui n’étaient pas complètement différentes. Si Dong Qichang préférait l’étude des anciennes peintures à l’observation directe de la nature, il n’était pas sans conseiller aux jeunes artistes de voyager beaucoup, en même temps que de lire beaucoup, pour voir de nombreux paysages. Shen Hao montre quand même un esprit individualiste quand il conseille dans le même chapitre de suivre les Anciens, non dans leur peinture, mais dans leur attitude face à la nature :

« Dong Yuan faisait des croquis des véritables paysages du Jiangnan. Huang Gongwang se retira dans les montagnes et là il peignit les monts Yushan, reproduisant exactement leurs rides et leurs couleurs. Il avait l’habitude de porter des pinceaux et une pierre à encre dans un sac et, quand il voyait des nuages et des arbres aux formes étranges, il les copiait immédiatement. Guo Xi peignait les montagnes à la manière de nuages surpris et montant, il fut ainsi appelé le "malin voleur" [puisqu’il volait la forme des nuages]. Il faut savoir à quel point les anciens maîtres voulaient faire des croquis de la nature et les conserver dans leur cœur. Ceux qui ont des yeux pénétrants découvriront cela par eux-mêmes et sauront comment suivre la méthode des vagabonds et des baguenaudeurs. »

C’est probablement dans ce rapport avec la nature que la différence entre « Orthodoxes » et « Individualistes » est la plus marquée. Mais ne nous y trompons pas, si la référence de Shen Hao se trouve chez les peintres de la dynastie des Song du nord qui ont été les plus fidèles dans leur représentation de la nature, faisant des peintures monochromes il est vrai mais pleines de détails venant de l’observation directe de la nature, ses peintures comme celles de Shitao sont sans doute celles que nous aurions le plus de mal à associer à une représentation ressemblante de la nature : leurs peintures nous semblent aujourd’hui beaucoup plus proches de jeux de formes à l’encre que d’un rendu réaliste. En fait, c’est plutôt du côté des peintres « orthodoxes » comme Yun Shouping ou Wang Jian que nous reconnaîtrions des artistes désireux de ce genre de réalisme. On doit reconnaître donc que cette dichotomie entre orthodoxie et individualisme a plus de rapports avec la peinture qu’avec la théorie, même si on peut cependant trouver dans leurs relations avec l’observation de la nature des différences marquées dans les textes.

 

 

 


• Shen Hao 沈顥 (1586-1661), Paysage coloré《設色山水圖》, feuille d’album, encre et couleur sur papier, 15.2 x 13.6 cm. Musée de Shanghai

沈顥甚至借用郭熙畫論中的論述,尤其對米芾(1052-1107)的評述,令這段文字別有興味。米芾是代表文人理想的宋代畫家,但也許從來就沒有遵循過郭熙精確細緻的作畫方式(我們看到,這位以性情蕭散,放浪不羈而著稱的宋代畫家對王維甚不以為然,而在清代,王維也成了文人傳統敬而遠之的人物。這點似乎可解釋為何沈顥的態度猶豫不決)。沈顥引述這兩位如此不同的畫家來為極簡約的單色畫作辯護,並無問題。在清初,幾乎所有的畫論裡均存在這種曖昧態度,畫評家往往不顧畫家在其繪畫中的實際表現,而徑直引用其繪畫理論來為自己的觀點作依據。其實,像沈顥這類名氣不大的畫家根本無緣親睹古代繪畫,原因是他們甚少機會認識一些聲名赫赫的大收藏家。這種傾向慢慢衰微,在十八世紀考証之風日盛的情況下,多數畫家便不再敢貿然引述他們未曾寓目的古畫了。


• Shen Hao 沈顥 (1586-1661), Paysage coloré《設色山水圖》, feuille d'album, encre et couleur sur papier, 15.2 x 13.6 cm. Musée de Shanghai

第六、七章包括了用墨、用色重要性的論述,強調了用墨至為重要,色彩次之,且只能略施淡彩。也論及了表現苔蘚之類的〝點苔〞及命題的重要性。關於命題,沈顥堅守文人畫傳統的主題,即漁樵耕牧,這些最能代表道家與世無爭、隱跡林泉的思想:〝古來豪傑不得志於時,則漁耶,樵耶。隱而不出,然嘗託意於柔管,有韻語,無聲詩。借以送日,故伸毫構景。無非拈出自家面目。今人畫漁樵耕牧題,不達此意,作箇穢夫傖父。傴僂於釣絲。戚施於樵斧,略無坦適自得之致,令識者絕倒。〞

沈顥自認不屬官場文人集團,這些文人一般均生活於繁華鬧市,未曾經歷漁耕生活。故沈顥認為唯有經歷過這種生活的人才能表現農夫漁父。這裡,他提醒我們注意中國詩畫的這一古老傳統,但在十七、十八世紀日愈城市化的中國是愈來愈難遵守了。沈顥本人是否曾於鄉野生活,也只能猜測,但這個要求對那些生活於市井的畫家們並不為過。至於題跋命題,則應置於畫的恰當處,以不破壞整幅畫的佈局為準。稍後我們可看到中國畫的題跋如何成了區分截然不同的中西畫的標幟。


• Shen Hao 沈顥 (1586-1661), Copie interprétative de paysages de Jing Hao et Guan Tong 《仿荊關山水圖》, rouleau à suspendre, encre sur papier, 136 x 56.7 cm. Musée Provincial du Zhejiang g

第十一章為《臨摹》,論及繪畫的一個基本問題。我們看到〝正統派〞畫家和〝獨立特行〞的畫家對此的態度可說相當不同。我們知道董其昌並不反對筆筆求似的機械臨摹,認為年輕畫家可借此磨練畫技。但他亦創造了〝仿〞,即解釋性模仿,視此為領悟古人靈機妙緒的工具:摹畫愈具個人風格便愈忠於原畫精神。正統派畫家和獨立特行的畫家在這方面其實並無太大區別,如沈顥在〝形〞與〝神〞之間,亦更着意於〝神〞。他說:〝臨摹古人,不在對臨,而在神會。目意所結,一塵不入。似而不似,不似而似,不容思議。孫虞習右軍書,而孫虞截然。李何學工部詩,而李何各別。雖然,彼觀劍而悟,走甕而成,其為師也,非上上根不能。〞

即便在觀察自然的態度上,〝正統派〞畫家和〝獨立特行〞的畫家亦非截然不同。董其昌在師法古人和觀察自然兩者間,雖更提倡前者,但亦力勸年輕畫家〝行萬里路,讀萬卷書〞,飽遊飫看山川自然。在同一章裡,沈顥認為師法古人,不應只着眼於繪畫,而更應學習他們對自然的態度,表現了他獨立特行的精神:〝董源以江南真山水為稿本。黃公望隱虞山,郎寫虞山,皴色俱肖。且日囊筆硯,遇雲姿樹態,臨勒不捨。郭河陽至取真雲驚湧作山勢。尤稱巧絕,應知古人稿本,在大塊內,吾心中。慧眼人自能覷著,又不可撥寘程派,作漭蕩生涯也。〞

〝正統派〞畫家和〝獨立特行〞的畫家的分別,也許在對自然的態度上,表現特別明顯。我們不應被迷惑,沈顥在畫論中雖多引述最為忠實自然的北宋畫家,他們的單色畫細膩逼真,在在來自對自然的直接觀察。而他本人的畫作卻和石濤的畫作一樣,很難說是對自然的忠實描摹。今天,我們觀賞他們的畫作,覺得更似一種水墨的圖像遊戲,而非對自然的再現。只有在惲壽平或王鑑這類〝正統派〞畫家的作品中,我們才能看到真正描寫大自然的寫實精神。這個存在於〝正統派〞和〝獨立特行〞畫家間的迥異,更多的表現在繪畫上,而非畫論上,雖然在文本中亦可看到他們在觀察自然時所表現的顯著差異。