Art et Histoire 藝術與歷史

Texte : Frank Vigneron*

 
  Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence : Les « Huit excentriques de Yangzhou » (4)
十七、十八世紀之間的中國:興盛不衰——揚州八怪(四)
 
 

On a souvent indiqué que Zheng Xie se contredisait en indiquant qu’il étudiait quand même soixante-dix pour cent de ce qu’il faut étudier tout en persévérant dans l’idée qu’il n’avait accepté aucune influence. Cette contradiction apparente est en fait une preuve de la même lucidité qui lui faisait dire que le bambou dans l’esprit et celui de la peinture était nécessairement différents. Si Zheng Xie veut se référer à la nature comme seule influence importante, il admet tout de même que la peinture est aussi une pratique qui doit s’appuyer sur des précédents. Encore une fois, ce respect pour le passé est présent même si le peintre ne veut y voir que la voie vers un langage pictural personnel. C’est aussi à Shitao qu’il se réfère dans l’inscription suivante, mais pour le comparer à Xu Wei, le peintre des Ming:
« Quand Shitao peignait des bambous, c’était une guerre sauvage, sans la moindre discipline ; et pourtant, la discipline se trouvait à l’intérieur. (Moi, Zheng) Xie ai peint cette grande peinture pour messieurs Zhang et Ying en m’inspirant de toutes mes forces (de cette peinture de Shitao). Le turbulent Xu (Wei) étalait (son encre) avec force de façon à ce que chacun de ses traits soit fait selon les règles, car il ne pouvait laisser aucun de ses traits s’aventurer au-delà. C’est incroyable comme le vénéré Shitao était incapable d’en faire autant ! Même avec beaucoup de pratique, il n’aurait pas pu s’en approcher d’un iota. L’homme de Lu (Confucius) dit un jour : “Seul Hui Liuxia est compétent, moi je ne le suis pas ; il faudra utiliser mon incompétence et étudier la compétence de Hui Liuxia.” Je dis la même chose du vénéré Shitao. »

C’est plus spécialement cette mention d’une « guerre sauvage » qui frappe, mais elle frappe certainement moins les familiers de l’œuvre de Zheng Xie et de la plupart des autres Excentriques pour qui la vitesse d’exécution était essentielle et frisait souvent la fureur. Encore une fois, il ne faut pas considérer cette expression comme uniquement attachée à une attitude « individualiste » vis-à-vis de la peinture, on se souviendra en effet que le parangon de la peinture lettrée, Dong Qichang utilisa l’expression « bataille sanglante » (xuezhan 血戰) pour décrire la confrontation du peintre avec l’œuvre des artistes du passé. Zheng Xie préfère donc Shitao à Xu Wei car il pense que Xu Wei, malgré son esprit « turbulent », respectait encore les règles de la représentation, et il est vrai que les fleurs et plantes de ce peintre sont extraordinairement réalistes malgré les moyens extrêmement simples qu’il employa pour les dépeindre. Par comparaison, les peintures presque naïves de Shitao, faites de traits qui s’étalent presque sur chaque millimètre de la toile, semblent bien avoir été faites dans une sorte de lutte.

La dernière phrase un peu alambiquée de cette inscription s’appuie sur le fait que Confucius n’a jamais de son vivant réussi à se faire employer par un des monarques de cette période, malgré ses qualités évidentes. Hui Liuxia était un excellent juge qui fut renvoyé trois fois de ses fonctions et, à un de ses amis qui lui demandait pourquoi il ne les abandonnait pas simplement, il répondit que se faire renvoyer pour avoir rendu la justice en toute impartialité arriverait dans tous les autres royaumes et qu’il n’était donc pas nécessaire de quitter la terre de ses ancêtres (Analectes (Lunyu 論語) de Confucius, chapitre 18. Zheng Xie s’amuse à cultiver le paradoxe en ce qui concerne le talent de Shitao. L’idée présentée ici est que le talent est en fait un obstacle à l’obtention de ce que la « vraie » peinture peut accomplir. Si Xu Wei était un excellent peintre, cela se voyait sans doute un peu trop pour Zheng Xie qui préfère, comme tous les autres Excentriques de Yangzhou, la « gaucherie » (zhuo 拙) d’un Shitao : le talent consiste à ne pas avoir de talent.

« Wen Tong et Wu Zhen étaient d’excellents peintres de bambous, moi-même je n’ai jamais employé de manuels pour faire des bambous. Su Dongpo et Lu Dezhi 魯得之 (1585 - ?) ont fait de la calligraphie mais pas de bambous, et c’est précisément eux que j’étudie le plus souvent. La calligraphie de Huang Gongwang est flottante et éparpillée mais aussi très fine, je l’étudie pour faire les feuilles minces de mes bambous; la calligraphie de Su Dongpo est brève et fière mais aussi très forte, je l’étudie pour faire les feuilles grasses de mes bambous :
c’est ainsi que la manière que je capture dans ma peinture provient de la calligraphie. Quant à ma calligraphie, je la fais toujours en empruntant la façon de peindre de Shen Zhou, Xu Wei et Gao Qipei. Il faut connaître le principe unique qui sous-tend la calligraphie et la peinture. » Là aussi, on peut être étonné de voir à quel point quelqu’un qui a promu l’indépendance et une certaine forme d’ignorance était cultivé dans l’art de la peinture et de la calligraphie, mais on a déjà vu que cela n’est pas si surprenant. Zheng Xie se réfère ici à des peintres qui firent nombre de peintures de bambous dans un style qu’il faut bien appeler individualiste, comme par exemple Gao Qipei qui se fit une spécialité de ne peindre qu’avec ses doigts. Mais c’est bien sûr la traditionnelle relation entre peinture et calligraphie qu’il faut noter ici et à quel point les observations habituelles faites par les historiens de l’art sur la façon dont Zheng Xie utilisait la calligraphie pour faire ses bambous était aussi la position de l’artiste lui-même. L’idée de s’inspirer de la calligraphie pour faire des bambous et de la peinture de bambous pour faire de la calligraphie n’est pas exactement nouvelle, mais il faut admettre que cette inversion des rôles est tout à fait visible dans la peinture de Zheng Xie, plus visible que chez d’autres peintres des Yuan et des Ming qui pourtant proclamaient la même chose dans leurs inscriptions et leurs traités. Ce qui était autrefois plus une profession de foi qu’une véritable application pratique, c’est-à-dire l’idée que la calligraphie et la peinture ont le même caractère, est bien ce que Zheng Xie a fait. Mais cette idée que le trait calligraphique puisse se trouver inchangé dans la peinture, et vice-versa, est un problème plus complexe qu’il faudra traiter plus tard.

C’est dans les observations de Zheng Xie qu’on peut lire le plus clair compte-rendu de ce qu’être un Individualiste représente. Jusqu’à ce moment dans l’histoire des écrits sur la peinture, il était encore difficile de reconnaître dans les textes des différences fondamentales entre l’orthodoxie de Wang Yuanqi et l’individualisme de Shitao et seules les peintures montraient à quel point ces esprits étaient différents. Avec l’avantage de leurs connaissances de l’histoire de la peinture, Zheng Xie et Jin Nong montrent un esprit résolument original qui s’illustre souvent par l’emploi de l’humour et de réactions qui ne sont pas sans ironie ni violence. C’est avec ces peintres, qui ne se sont donc jamais essayés à la rédaction d’un manuel que l’on peut clore cette première période de l’histoire de la peinture de la dynastie Mandchoue. La période suivante, toujours nommée « le milieu des Qing » (« mid-Qing period ») par les historiens de langue anglaise, et dominée par la figure impressionante de l’empereur Qianlong, a vu des changements suffisamment marqués dans la pratique picturale et théorique pour être vue comme un tournant vers une peinture différente et pourtant pas toujours appréciée comme étant particulièrement originale. Elle fut cependant le cadre de développements essentiels pour la compréhension des changements profonds qui menèrent finalement à la période moderne.

* Frank Vigneron (Professor - Fine Arts Department - The Chinese University of Hong Kong)

 


Bian Shoumin 邊壽民 (1684-1752), Oie dans les roseaux, fleurs et plantes 《蘆雁花卉》, feuille d’album, encre et couleur sur papier, 28 x 41.1 cm. Musée Provincial du Sichuan.

人們常說鄭夑自相矛盾,指出他既主張對前人十分學七要拋三,但又堅守不受任何流派影響的理念。其實,這個表面的矛盾正反映出他思想的極端清晰,他說胸中之竹和最終流出筆端之竹是必然不同的。他重視自然,認為至關重要,但亦認同繪畫必須師學古人。我再重複一次,雖然他在繪畫上一味追求個人風格,但亦尊崇傳統。下面引述的題跋中,他論及石濤,並將之與明代畫家徐渭作比較:
「石濤畫竹,好野戰,略無紀律,而紀律自在其中。燮為江君穎長作此大幅,極力仿之。橫徐堅抹,要自筆筆在法中,未能一筆逾於法外。甚矣石公之不可及也!功夫氣候,僭差一點不得。魯男子云:『唯柳下惠則可,我則不可;將以我之不可,學柳下惠之可。』余於石公亦云。」
其中尤以「野戰」一說令人震驚,當然,對熟悉鄭夑繪畫的人以及揚州八怪其他畫家而言,不會感到太大震驚。這些畫家本來作畫極其迅速,一揮而就,筆意恣肆放縱,跡近瘋狂。我再強調一下,不應將「野戰」視為僅屬「特立獨行」畫家對繪畫所持的態度。我們記得,文人畫的一代宗師董其昌不也以「血戰」一詞來形容畫家面對前人畫作時的境況。在石濤和徐渭之間,鄭夑更欣賞前者,他認為徐渭雖恣肆狂放,卻遵從法度,他的花鳥畫雖筆簡意賅,但卻十分寫實。相比之下,石濤的畫跡近稚拙,一筆一劃幾乎佈滿畫紙,彷彿是在一場苦鬥中完成。

題跋中的最後一句話有點兒吊詭,是說孔子雖德高望重,但在他那個時代,終其一生都未曾受君王重用的故事。「柳下惠為士師,三黜。人曰:『子未可以去乎』曰:『直道而事人,焉往而不三黜 枉道而事人,何必去父母之邦』。」

鄭夑藉此譬喻石濤的才能,意為才氣往往是完成一幅「真正」美好畫作的障礙。若言徐渭是一位傑出的畫家,對鄭夑而言似乎有點過譽,如同揚州八怪其他畫家一樣,他更偏愛石濤的「拙」:才氣正在於無才氣。
「文與可、吳仲圭善畫竹,吾未嘗取為竹譜也。東坡、魯直作書非作竹也,而吾之畫竹往往學之。黃書飄灑而瘦,吾竹中瘦葉學之;東坡書短悍而肥,吾竹中肥葉學之:此吾畫之取法於書也。至吾作書,又往往取沈石田、徐文長、高其佩之畫以為筆法。要知書畫一理。」


Cai Jia 蔡嘉 (actif 18e siècle), En lisant dans la nuit d’automne 《秋夜讀書圖》, rouleau à suspendre, encre et couleur sur papier, 63.7 x 37 cm. Musée du Palais, Beijing.

這裡,我們可以驚奇地發現,一個鼓吹特立獨行和某種無知的人在書畫領域裡竟有如此造詣。我們已知這並不奇怪。這裡,鄭夑提到了以獨特風格畫竹的許多畫家,其中有以指畫獨樹一幟的高其佩。當然,這裡應關注的是書畫之間的傳統關係,以及繪畫史家們對鄭夑如何將書法融入蘭竹的創作方法的觀察探究竟達到了何種程度,這也是鄭夑對藝術的態度。將書法的筆意融入蘭竹以及將蘭竹的畫法融入書法並非新事物,但應看到這種角色的對調融合在鄭夑的畫裡遠比元明畫家的畫來得清晰,雖然他們在題跋和畫論裡亦有同樣的主張。書畫同理在過去,以其說是一種藝術實踐,毋寧說是一種理念,只是到了鄭夑才真正得以實踐。至於書法的筆觸可一層不變地移植於繪畫中或者反之,這是一個相當複雜的問題,須另作論述。

在審視了鄭夑的創作之後,我們對所謂特立獨行的畫家才有較清晰的認識。至今為止,在中國繪畫史上,很難辨別正統派如王原祁和特立獨行畫家如石濤之間有何根本的區別,只有透過畫作,才能發現他們之間竟如此不同。鄭夑和金農均熟諳中國畫史,他們表現了一種極獨特的精神,充滿機智諧趣,亦不無諷刺和激憤。這些畫家從來未嘗試寫出甚麼繪畫指南一類的書以傳後世,和他們一起,我們暫且在此結束清朝繪畫史的第一階段。接下來的是英語史學家所謂的清朝中葉 (mid-Qing period),亦即盛極一時的乾隆盛世。這一時期,中國繪畫無論在實踐和理論上都遭遇了重大變化,被視為是轉向一種由於風格極其獨特而不總是為人受落的全新繪畫的轉捩點。這一時期,繪畫得到根本的發展,經歷了深刻變化,最終通向現代繪畫時期。