LITTÉRATURE 文學專欄

Texte : Matthieu Motte

 
  Steampunk Jules Verne : retour vers le futur !

 
 

Imaginez Jules Verne empruntant la machine à explorer le temps de son comparse H.G. Wells pour débarquer à Paris en 2026, lui qui avait promis à son père de ne plus voyager qu’en rêve... Le voilà un beau matin de novembre, « mobilis in mobile », dans les brumes parisiennes qui emplissent les rames du métro de la ligne 11, sis station Arts et Métiers, dans la carcasse métallique de son propre Nautilus.

Ce n’est pas la mélopée d’un harmonium qu’il entend mais peut-être l’énième bronca d’un peuple qui se soulève... Un écrivain génial projeté dans l’avenir qui évolue dans un passé révolu mais futuriste, issu de sa folle imagination : et si l’œuvre de Jules Verne était la définition même du Steampunk ?

Steampunk, l’héritage immergé de Vingt mille lieues sous les mers
Sous-genre de la science-fiction et de la fantasy se déroulant dans un univers inspiré par l'ère industrielle du XIXe siècle (souvent victorienne ou Belle Époque), le Steampunk - terme inventé dans les années 80 du XXe siècle - trouve son essence dans les technologies avancées, propulsées à la vapeur ou à la fusion nucléaire, qui animent des machines complexes, des robots ou des dirigeables. Épique et dystopique, avec des univers visuels à couper le souffle, il ouvre un champ des possibles exaltant, foisonnant d'uchronies et de multivers qui réveillent avec force les imaginations les plus engourdies. Si ce courant esthétique et littéraire, qui mêle technologie rétrofuturiste et élégance victorienne, trouve ses racines dans les rêves mécaniques du XIXe siècle, c’est sans conteste à l’affabulateur visionnaire Jules Verne qu’il doit ses linéaments les plus emblématiques. L’écrivain nantais, par ses « voyages extraordinaires » (du nom de la collection iconique de l'éditeur Hetzel dont les couvertures aux deux pachydermes a marqué des générations) où la science se pare de poésie et de mysticisme a inspiré pléthore d’artistes et de créateurs dans son sillage. Ainsi, la station de métro parisienne Arts et Métiers, dans le troisième arrondissement de la capitale en est l’exemple le plus rutilant : ses parois cuivreuses et rivetées, ses hublots lumineux et ses engrenages apparents évoquent avec une fidélité troublante l’intérieur du Nautilus, le sous-marin mythique de Vingt mille lieues sous les mers. Ce clin d’œil architectural, conçu par l’artiste François Schuiten en 1994, transforme une simple rame de métro carrossée et cuprifère en une plongée dans l’univers vernien, où les avancées technologiques deviennent des œuvres d’art à part entière : une porte d’entrée vers le Steampunk en plein Paris ! Vingt mille lieues sous les mers dessine les contours d’un monde où la technologie, poussée à son paroxysme, se marie à une élégance rembrunie et mystérieuse, essence même du steampunk. Ainsi le Nautilus, avec ses salons lambrissés de bois précieux, ses instruments de navigation en laiton et ses éclairages électriques incarne avant l’heure cette fusion entre l’opulence bourgeoise et la puissance industrielle. Les premiers sous-marins militaires, comme le Gymnote français en 1888 furent conçus en s’inspirant directement des plans du Nautilus. De même, les costumes des plongeurs en scaphandre autonome, avec leurs casques rivetés et leurs tuyaux d’aération, doivent leur silhouette iconique aux descriptions minutieuses du roman. Ce qui détonne, c’est la manière dont l’écrivain a su anticiper non seulement les machines; comme si le futur s’invitait dans le passé, mais aussi la philosophie du steampunk : un mélange de fascination pour le progrès et de nostalgie pour un artisanat disparu. Un paradoxe qui fait office de passerelle, une DeLorean volante surgissant dans un western spaghetti.

Voyage au centre du Steampunk
Autre caractéristique en guise d’inspiration, les engins de Verne ne sont jamais froids ; au contraire ils respirent, ils se meuvent presque organiques, en autonomie, comme le Nautilus avec ses « poumons » de ballasts qui semblent annoncer les hybridations entre l’être humain et la machine dont la science fiction moderne se repaît quand la bioéthique s'en inquiète. Chaque rouage, chaque soupape de ses romans d’anticipation semble toutefois murmurer aux artistes et lecteurs contemporains : la technologie peut être une œuvre d’art, pour peu qu’on ose lui donner une âme. L’esthétique, identifiable entre mille, puise aussi son essence dans l’alliance iconoclaste de la rigueur scientifique et de l’aventure abracadabrantesque, et c’est peut-être dans Voyage au centre de la Terre que Jules Verne en a posé les jalons les plus flagrants. Ce roman où le professeur Otto Lidenbrock, son neveu Axel et le guide islandais Hans Bjelke s’enfoncent dans les entrailles de la Terre à bord d’un radeau improvisé, éclairés par des lampes à hydrogène et guidés par une boussole tremblotante, préfigure les chromos rétro-futuristes où il ne sera plus impossible de retrouver raccord une montre à gousset dans un vaisseau spatial. Toujours aussi visionnaire Verne ! Les premières combinaisons de spéléologie, équipées de harnais et de systèmes de ventilation, furent ainsi imaginées en s’appuyant sur les descriptions des équipements du professeur Lidenbrock. De même, les décors des premiers films de science-fiction, comme Le Voyage dans la Lune de Méliès (1902), empruntèrent leurs paysages minéraux et leurs machines hybrides aux visions verniennes des grottes luminescentes et des mers souterraines. L'écrivain, en combinant géologie et science en général avec une plume poétique quasi prophétique, a conféré au steampunk un terrain de jeu intarissable: celui d’un monde où la technologie, aussi rudimentaire soit-elle, ouvre les portes d’un imaginaire qui devient tangible, palpable. Jules Verne a offert au genre bien plus qu’un décor : une philosophie où l’être humain, la machine et le romanesque sont en symbiose; comme si les lignes de force d’un tableau de Caillebotte étaient traversées par un métro du futur... Station Arts et Métiers, deux minutes quantiques d'arrêt.


 
 

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